Monday, July 14, 2008

Ailleurs mais au même endroit


Photo : Cécile

Cher ami lecteur, je ne sais pas si tu connais la Spiegeltent. C’est une salle de spectacle, conçue comme une sorte de petit cabaret-tente, construite en 1920 par les belges Oscar Mols Dom and Loius Goor (merci Wikipedia). Marlene Dietrich s’y est produite dans les années 1930 et aujourd’hui, la Spiegeltent voyage dans les festivals du monde entier. A l’intérieur, le parquet et les vitraux en font un lieu vraiment incroyable. La première fois que je suis allée dans la Spiegeltent, c’était à Brighton pour un concert plutôt ennuyant des Turin Brakes et j’y suis ensuite retournée à New York l’année dernière pour y voir Daniel Johnston. Et j’ai alors eu cette impression incroyable : « je suis déjà venue dans ce lieu mais à un autre endroit, sur un autre continent en fait ». Etrange sentiment que j’ai retrouvé en mai dernier en allant à une petite sauterie au Bureau export de la musique française dans la Spiegeltent de retour à Brighton. Et puis, je suis mise à chercher le piano et la petite statue qui l’ornait lors du concert de Daniel Johnston et je me suis alors dit « oui bon, je crois que je ne reverrai jamais un aussi bon concert dans ce lieu, quelque soit le continent ».

Daniel Johnston donc. Je dois avouer que j’avais un peu peur d’y aller. Peur d’avoir acheté ma place à cause d’un voyeurisme malsain parce que le bon vieux Daniel est presque devenu un phénomène de foire (voir notamment le documentaire The devil and Daniel Johnston). Et puis je me demandais bien qui pouvait être le public de Daniel Johnston. La réponse : quelques hipsters bien-sûr mais aussi un tas de gens différents et quelques-uns de ces américains qu’on voit sur TF1 : gros et beauf. Je me suis installée près du piano ne sachant pas trop à quoi à m’attendre.
Et puis, il est arrivé. Il portait des grosses tennis blanches type Quechua et un vieux jogging informe, le genre de type que je pouvais croiser à ma laverie dans le Queens. Sur les deux premiers morceaux, il a joué de la guitare et il tremblait tellement que c’était difficilement audible et assez pénible. Mais un garçon est arrivé et a joué de la guitare pour le reste du concert pendant que Daniel chantait les chansons qu’il choisissait dans son petit cahier. Et le miracle s’est produit. Une atmosphère s’est emparée de la salle et j’ai compris que ce qui unissait tous ces gens très différents : on était tous profondément touché par les paroles de ce mec à qui on n’aurait sûrement pas adressé la parole à la laverie. Parfois naïfs, souvent tordus, les textes de Daniel Johnston touchent toujours juste. On s’est tous bien marré à chanter en chœur Speedy motorcyle, mais quand il a commencé True love will find you in the end, il y a eu un silence religieux, le genre de moment hyper rares qu’on ressent qu’une fois par an. Cet écorché vif du cœur nous chantait que l’amour allait nous trouver un jour et il y croyait de toute son âme, lui qui ne l’a pourtant jamais vécu. C’était une émotion intense et communicative. Pendant quelques minutes, on était tous des mômes qui écoutaient un grand-frère sage nous rassurer en nous disant qu’il y avait peut-être des monstres sous notre lit, mais que si on arrivait à les combattre, alors on rencontrerait la princesse de nos rêves.

Daniel Johnston – Speedy motorcycle

Daniel Johnston – True love will find you in the end


Daniel Johnston fait une petite tournée cet été avec le backing band de nos rêves : Mark Linkous de Sparklehorse, Scout Niblett, James McNew de Yo La Tengo, Norman Blake de Teenage Fanclub et Jad Fair de Half Japanese. Cette tournée passe par la Suède, la Norvège, l’Angleterre et l’Irlande mais personne ici n’a eu l’idée de les programmer !?! Daniel Johnston jouera tout de même à Paris le 27 octobre à la Maroquinerie, sans ce super groupe, mais cher ami lecteur, tu serais bien bête de ne pas y aller.

Tuesday, July 01, 2008

Motherfucking Eurockéennes motherfucker



Il va peut-être falloir vous avouer quelque chose. C'est difficile à dire, je ne sais pas trop par quel bout m'y prendre, mais voilà. On a tendance à ne parler ici que de groupes encore totalement inconnus. Et franchement, on le fait exprès, et avec plaisir, parce qu'il faut bien que quelqu'un vous ouvre gentiment les oreilles et qu'on se sent un tout petit peu qualifiés. Si je vous disais depuis quand Cécile connait des gens qui ont fait leur chemin comme Blood Red Shoes, par exemple, comment ils sont devenus potes et comment on s’est retrouvés samedi avec deux bracelets VIP pour le Rock Dans Tous Ses Etats (mon troisième changement d’invitation du week-end), ce qui nous octroyait le luxe d’avoir accès à des toilettes rutilantes et des dégustations de produits du terroir - camembert, calva, Jack Daniel’s. Si je vous disais qu'après le premier concert en France de Bat For Lashes devant environ 30 personnes venues pour d’autres groupes aujourd’hui déjà oubliés, la délicieuse Natasha Khan a serrée Cécile dans ses bras en s’exclamant "oh it's good to see a familiar face", je vous dirais aussi que j'étais très jaloux, mais là n'est pas le propos. Bat For Lashes jouait récemment à Bercy en première partie de Radiohead, Blood Red Shoes sera au Parc de Saint-Cloud avant Rage Against The Machine. Ok, on frime un peu, d’accord. Mais... c’est parce qu’on peut, hein. On était là avant et on avait raison.

Une des remarques que j'ai le plus entendues à propos de ce blog, aussi bancal soit-il, c'est "je ne connais quasiment aucun des groupes ou des références citées" - "ce qui n'est pas forcément à mon honneur, je le concède", ajoutait même quelqu'un dont c'est le boulot (non, il est pas aux Inrocks, celui-là). Si on lançait l'affaire aujourd'hui, je militerais pour qu'on l'appelle "c'est pas parce qu'on connaissait avant vous que c'est moins bien maintenant". Enfin on a déjà un nom donc on va faire avec. Vu les qualités de ce blog, on a déjà bien du mérite à être aussi modestes.

Mais il se trouve que nous vivons aussi le paradoxe de l'indie kid. On peste et on enrage à voir un groupe qu'on adore rester désespérément confidentiel, et lorsque le succès arrive, on se sent dépossédés de notre petit truc à nous. Que celui qui n'a jamais connu ça me jette ce qu'il croit être la première pierre, je lui répondrai que j'écoutais déjà cette pierre il y a cinq ans.

Quoi de mieux qu'un festival pour mettre à l'épreuve son goût du paradoxe ? Un lieu où les petits groupes se retrouvent face à un public qui n'en attend rien, qui découvre, et qui se dit "MAIS OUAIS (putain)". Et où on peut aussi voir d'autres trucs beaucoup plus connus, tant qu’à faire. On a rien contre.

Prenons les Eurockéennes, par exemple. Il va de soit que l'exemple n'est pas pris tout à fait au hasard. L'affiche était déjà alléchante jusqu'au 21 mai au matin, quelque chose comme onze heures et demi, quand la sonnerie de mon portable m’a sauvagement stridulé aux oreilles. "Non mais putain de bon dieu qui me putain de réveille à une putain d’heure pareille", me dis-je, déjà prêt à bazarder l’électronique appareil à l’autre bout de la pièce. Ah, Cécile. Bon, elle doit avoir une raison valable.

Gnnnnnnn allo ?

Hein ?!

Ah ouais !!!

Raison valable, j'admets. Quand je me suis rendormi, j'étais accrédité pour les Eurockéennes.

Et là je dis MAIS OUAIS (putain). Feu d'artifice cérébral, souvenirs de concerts et de camping il y a trois ans, de cette montée de la butte après le concert de The Go ! Team où je réalisai que Cécile était définitivement plus qu’une fille bien (et VIP, déjà), récapitulation mentale de ce qui nous attend cette année, tout ça augure du meilleur. Vaguement dans l'ordre et sans soucis d’exhaustivité :

- revoir Soko en plein air plutôt qu'enfermée dans une salle parisienne
- Cat Power au crépuscule (ou alors aidez-moi, je ne sais pas comment annoncer à Cécile que j’aurais aussi envie de jeter une oreille à Comets On Fire au même moment - comprenez, c’est pour notre couverture de l’évènement, comme dit le dossier de presse)
- penser à mettre le t-shirt de 2003 pour dire que j'avais déjà vu Massive Attack au même endroit
- hésiter entre une nouvelle tranche de dEUS et une grosse baffe de Genghis Tron (ok ça ne concerne que moi, tout le monde ici n’est pas porté sur le grindcore, même agrémenté de passages electro)
- enquiller un kebab et cinq bières en vitesse avant de s'achever sur Gossip même si on les a déjà vu moult fois (et quand je dis moult, c'est moult)
- et puis Calvin Harris après parce que c'est à la plage et c'est sur le chemin pour rentrer et une fois qu'on est achevés, hein, y'en a un peu plus j'vous le mets quand même.

Remettre ça le lendemain avec
- Daniel Darc, étrangement toujours plus convaincant dans des circonstances a priori défavorables pour lui comme celles d’un festival
- aller voir Vampire Weekend parce qu’on a déjà beaucoup vu Camille
- voir enfin Santogold qui avait annulé son concert à Paris il y a quelques semaines
- voir Grinderman parce que Nick Cave avec ses Bad Seeds répondait récemment à un spectateur qui demandait une chanson de son autre groupe que c'était certes un excellent choix mais qu'il s'était planté, il fallait attendre Belfort, ben voilà, on y sera. Se foutra-t-il encore des goûts vestimentaires du nombreux public teenager prévisible ? "You come to a fucking Nick Cave show and you wear a Puma !... " (Ah, on me signale que Puma sort justement des baskets en série limitée spécialement pour les Eurocks. Bon, on va se marrer)
- l'entendre chanter No Pussy Blues et être réconforté par Lovefoxxx de CSS qui lui répondra un peu plus tard Let's Make Love And Listen Death From Above...

Ah non, non non et non, il faudra qu'on aille faire un tour au village pro pour rencontrer Lovefoxx et la convaincre qu'elle peut trouver beaucoup mieux qu'un type qu'on n’a même jamais pu croiser chez lui à Brighton et qui s'est laissé pousser la moustache de Sean Connery dans Zardoz, ce qui est un choix esthétique aberrant (et encore, il n'a pas repris les costumes du film). Je mettrai mon t-shirt Dinosaur Jr. violet avec des écritures vert fluo terriblement flashy pour qu'elle me remarque, ce t-shirt que mon ex n'aimait pas de toute façon. On pourrait même faire une demande d’interview. On est LES MEDIA, maintenant. Moi aussi j’ai du mal à y croire, mais nous fourbissons déjà des questions hautement pertinentes pour les conférences de presse. Nous n’avons pas encore le programme mais nous sommes prêts à demander à Nick Cave s’il habitait bien du côté de Palmeira Square en 2006, et surtout pourquoi la moustache. A Cali, s’il n’a pas honte. A Lovefoxxx... oh, on aurait bien des choses à lui dire, on avait déjà décidé l’an dernier de faire une banderole "tu es amoureuse de moi mais tu ne le sais pas encore". D’où l’idée d’une interview un peu plus confidentielle avec CSS. Mais si on se retrouve face au batteur (ou désormais bassiste, semble-t-il) et seul mec du groupe, on serait vraiment mal. Encore un moustachu. Fuck les moustaches.

Et le dimanche, ça continue.
- MGMT que j'avais raté à la Maroquinerie en février parce que j'étais dans un bar à l'autre bout de la ville en train de conter fleurette à la fille du milieu du paragraphe précédent
- Future Of The Left parce qu’on a beau faire les malins, avoir déjà vu la moitié des groupes, on découvre encore des choses immanquables en épluchant la programmation. On retrouve la trace de deux ex-McLusky qui sont encore meilleurs que McLusky. Pour moi, ce sera un des points forts du week-end. On est vraiment à l’arrache sur les mp3s, vous vous débrouillerez autrement, mais écoutez ça. (J'ai tartiné ce post de lien dans tous les sens, là vous cliquez et vous écoutez, ok ?)
- le début de Babyshambles pour le résultat des paris - jouera, jouera pas ? (A ma grande surprise, c’était assez cool au Zénith en février)
- Band Of Horses parce que la dernière fois on était posés dans l'herbe à Saint-Malo en fin de festival et on n’a pas réussi à se lever pour jeter une oreille curieuse
- puis l'ultime enchainement trippant : Yeasayer / Holy Fuck / Battles / Ez3kiel. Le genre de truc qui va buter des ours par poignées de douze, ce qui suppose des paluches monumentales, mais si vous me permettez j’emmétrai sobrement quelque chose comme "OH PUTAIN".

Evidemment, il y aura des embuches, mais Cécile me dit qu’il est possible avec une accréditation de passer de la Plage à la Loggia sans passer devant la grande scène. Ceci nous sera fort utile le dimanche soir, à l’heure où mes deux bêtes noires produiront leurs ignominies. Cali ? Moby ? Hors de question. Faut-il rappeler ici que j’ai déjà vu Cali ? Faut-il dire à quel point j’ai souffert en 2005, bloqué devant la grande scène en attendant qu’une conne s’achète à manger sur un stand adjacent ? (Je la déteste, maintenant.) C'est ainsi que je me suis retrouvé à lever les yeux au ciel et finalement implorer Dieu pour qu'un concert s'arrête. Ce sont les aléas des festivals. Je suis pourtant assez open, je suis même sorti l’an dernier avec une fille qui écoutait Cali, c'est dire si je suis tolérant (elle souffrait beaucoup). Et dans l’ensemble, vu la programmation, on a vraiment pas à se plaindre. Au contraire.

Donc, dès jeudi, Cécile et moi serons dans un train en direction de Belfort pour nous imprégner au plus tôt de, euh, nous imprégner de l’ambiance du festival (nous sommes accrédités, nous devons témoigner de tout - et ça promet). En ce moment, Cécile cherche du travail à Londres et la plupart des réponses qu’elle reçoit sont du genre "désolé, on n’embauche pas en ce moment, mais par contre tu as l’air super cool alors on pourrait traîner ensemble à Londres !". Mouais. Les recruteurs ne savent pas ce qu’ils perdent (cette fille est cool ET compétente, bande de buses). Mais on peut aussi faire ça aux Eurocks : cherchez la soeur jumelle de la bassiste d’Electrelane et un grand chevelu viking, vous aurez le staff de Black Candy au complet. On sera soit au camping en train de socialiser avec notre voisine de palier chez blogspot (ce qui est déjà outrancièrement cool), soit en train de taper du pied et remuer synchroniquement du chef quelque part sur la presqu’ile du Malsaucy, soit trop occupés à boire des bières avec Lovefoxxx au village pro. Eh ouais. Ce sont des choses qui nous arrivent.