
[Nous retranscrivons ici une causerie du Professeur Avec Desvaches, de l'Observatoire des Noms de Groupes]
Gambergeons un instant vous et moi sur un phénomène ignoré. Si les rockologues patentés ressortent de manière cyclique - au gré du manque d'inspiration - la lourde thèse intitulée "le rock est mort" (accompagnée de ses variantes : la pop est morte, le punk est mort, le metal est mort, le ska festif a toujours été mort, Georges Pompidou aussi) il s'en trouve peu pour se pencher sur un aspect préoccupant de notre culture populaire contemporaine. Pas l'allitération en P de la phrase précédente, absolument fortuite, non, plus grave: les noms de groupes sont morts.
La grande crise
La grande crise semble remonter aux années 90. L'apparition de Limp Bizkit fut révélatrice du désastre : pour en être réduit à de telles extrémités dans le cadre d'un projet visant ouvertement à équiper chaque teenager occidental d'un CD et d'un sweat-capuche, il fallait que la situation fût désespérée. Outre l'aspect musical (honteux), le choix d'un tel nom de groupe signalait à la face du monde que voilà, c'était fini, tous les noms de groupes valables avaient été épuisés.
(Facteur aggravant: Fred Durst et ses comparses étaient sans doute bien trop cons pour penser à un nom correct. Mais ne nous attardons pas sur leur cas, les soldeurs ont déjà bien du mal avec eux.)
Face à la pénurie nominale, les jeunes groupes de l'aube du troisième millénaire eurent le réflexe réactionnaire de revenir à la mode des années 60 : les noms de groupes en The (je vous épargne la liste, elle est longue comme the bras). Parallèlement, on les vit faire de la musique en The, adopter des looks en The, porter des fringues en The et des chaussures en The.
[Le Professeur Avec Desvaches lorgne alors dans la salle une fille portant des Converses.]
Où en est-on aujourd'hui?
- Le The ne se porte plus si bien et les noms en Poney sont tellement 2007 (Poney Express, Pony Up, Poni Hoax, Poney Club, New Young Poney Club, Poney Poney, Pony Pony Run Run...)
- Les groupes en Fuck semblent connaître un frémissement que nous qualifierons de pré-buzz, pas encore assez établi pour viser le mainstream. Preuve en est, mon cobaye et néanmoins ami Sylvain a d'abord cru que Fuck Buttons était un poisson d'avril destiné à le ridiculiser à la billetterie du Virgin de Strasbourg. De fait, la guichetière le voyant le même jour retirer une place pour Holy Fuck et en demander une pour Fuck Buttons s'est foutu de sa gueule, le croyant soit pervers, soit atteint du syndrome de La Tourette.
[Note de Black Candy : deux excellents groupes.]
La vraie tendance 2008 semble être la répétition, la double répétition voire le triplement. L'explication tient peut-être à l'épuisement des noms simples. On notera évidemment les précurseurs historiques Talk Talk ou The The (à la fois groupe en The ultime et antécédents aux groupes à répétition actuels) mais les occurrences sont nombreuses, particulièrement en France. Nous avons déjà mentionné Poney Poney et Poney Poney Run Run (également au palmarès des groupes à poney, nous les qualifierons donc de groupes de transition). Ajoutons Imbert Imbert, Zombie Zombie, Hey Hey My My...
Pour illustrer notre propos

Non, pas illustrer comme ça, illustrer par l'exemple, enfin!
Voici donc Clara Clara. Clara Clara n'est pas exactement un groupe de l'année, leur première démo datant de 2004, mais nous ne laisserons pas ces vétilles saborder notre belle théorie. Clara Clara n'est de toute façon pas un groupe d'une rigueur extrême: groove bancal, enregistrement brut, on ne les prendra pas au sérieux. Alors tant qu'à faire vaciller la raison, autant que ce soit dans une salle de concert. Où là, en revanche, c'est une autre histoire. Basse saturée, batterie lourde, clavier cheap, tout ça est assez furieusement dansant, un peu comme si Black Sabbath avait décidé de se passer d'Ozzy pour jouer des musiques de jeux vidéo.
[Note de Black Candy: le professeur Avec Desvaches a toujours été notoirement incapable de décrire un groupe, ce qui ne s'est pas arrangé avec l'âge et la surdité. Il vous est donc fortement conseillé de vous forger une opinion par vous-même.
Clara Clara - Nous Les Plus Que Respectons
Clara Clara – Les Pleins Succès
Clara Clara joue ce soir au Point Ephémère]
Que nous réserve l'avenir?
Au rythme où se créent les groupes, il y a fort à parier que les groupes à répétition épuiseront rapidement les ressources naturelles nominal. A l’horizon 2010, on peut parier sur la mode du triplement, déjà présentie chez des artistes undergröund comme Duran Duran Duran (ébauchons là une théorie misanthrope dont nous ferons le thème d’une prochaine causerie : l'ironie des avant-gardistes est l'opium des suiveurs imbéciles). Aussi, en tenant compte du frémissement du Fuck, nous ne saurions trop suggérer aux plus avisés d'entre vous de se ruer au plus vite sur le nom Fuck Fuck Fuck, quitte à devoir former un groupe pour l'occasion. Pour les arrangements financiers relatif à ce conseil stratégique, veuillez me contacter en privé. Merci.