Tuesday, December 02, 2008

L'album de l'immaturité



[Nous retranscrivons ici une causerie du Professeur Avec Desvaches, de l'Observatoire des Carrières Musicales]

Gambergeons un instant vous et moi sur les étapes qui ponctuent la vie d'un groupe. Certaines semblent inévitables, les piles de dossiers similaires qui s'accumulent sur nos bureaux en attestent. Nos archives atteignent une telle masse que leur attraction newtonienne suffit à dévier des planètes de leur course. Alors les petits jeunots qui fondent un groupe en s'imaginant qu'ils vont suivre une autre trajectoire, fouler des territoires inconnus, je vous en parle même pas. Pour la plupart, ils finissent par répéter malgré eux les errements de leurs prédécesseurs et périr aspirés dans le vaste trou noir et gluant, très sale, que constitue l'histoire du rock.

Résumons grossièrement.

La première étape est connue : on dégote une guitare pourrie pour faire le malin devant les filles, on apprend éventuellement trois accords (option facultative), on croise un autre type qui a fait le même raisonnement, on trouve un bassiste qui a fait le raisonnement qu'il était trop timide pour jouer de la guitare devant les filles alors il a choisi la basse pour être recruté par les deux autres qui attirent les filles et ainsi profiter du surplus, puis on trouve un batteur qui n'a pas fait de raisonnement (c'est un batteur).

Ca peut s'arrêter là, un concert le 21 juin pendant quelques années jusqu'au premier boulot qui paye, un appartement décent, une compagne stable et un chien nommé Skiff. On arrête la musique et on attend paisiblement la calvitie dans un bureau. Mais parfois ça continue, le groupe arrive à jouer, à trouver des concerts, enregistre un album. C'est la carrière. Les étapes de la carrière sont répertoriées aussi : galère, engueulades, drogue, mort. Les plus endurants persistent jusqu'à l'album de la maturité. L'album de la maturité consiste en une collection de chansons très propres et bien enregistrées que la critique adore pendant environ une semaine avant de le poser sur une étagère où il est condamné à prendre la poussière jusqu'à la fin des siècles, parce que l'album de la maturité est chiant comme c'est pas permis.

Après, il y a le fastidieux album du retour aux sources, qui essaye de reprendre les choses telles qu'elles étaient avant l'album chiant. La critique le trouve très bien comparé au précédent, qui était chiant (disent-ils, après coup) mais ça reste quand même assez fade. A ce stade, la carrière du groupe est aussi excitante qu'un caniche à calvitie, plus grand chose à en attendre à part la sortie d'un best-of et des concerts à 40 euros la place. Et pourtant, il y a toujours des gens pour aller les voir parce qu'il s'agit alors d'un grand groupe, le single passe sur RTL2, ça vaut le coup d'aller voir un concert par an grâce au comité d'entreprise tandis qu'à la maison que le chien se tape la baby-sitter.

Quelle misère.

Aussi, nous ne saurions trop vous conseiller de profiter des groupes tant qu'il est encore temps. Tant qu'ils sont encore joyeusement crétins et débridés, tant que leur seul plan de carrière consiste à foncer droit dans le mur pour essayer de l'abattre à coups de tête. The Deathset, c'est à peu près ça : ça va très vite, 18 titres en 25 minutes, ça s'égosille façon Beastie Boys, ça brasse un paquet d'influences un peu comme The Go! Team avec beaucoup plus de punk et des claviers ultra cheap, l'équivalent à guitares de ce cinglé de Dan Deacon (tournées communes et remixes, l'univers est étrangement cohérent) et un budget d'enregistrement probablement inférieur au prix moyen d'un kébab. Preuve ultime que The Deathset n'est pas près de sortir un album de la maturité ? Ils ont deux batteurs.

The Deathset - Listen To This Collision

The Deathset - Moving Forward

The Deathset - Peak oil


Certes, on peut trouver que l'album manque un chouïa de punch, mais écoutez le live disponible ici, perdez une heure de plus sur youtube et vous vous mangerez les orteils si vous n'êtes pas aux Transmusicales ou si vous les avez ratés en mars.

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